L’affacturage déconsolidant : de la gestion du poste clients à la décomptabilisation d’un actif

L’affacturage, une solution onéreuse et de dernier recours : voilà ce que l’on pouvait entendre il y a… bien longtemps à vrai dire. Depuis près de dix ans maintenant, l’affacturage tire la croissance du marché des crédits à court terme, au point qu’il se place loin devant la Dailly ou l’escompte et au coude à coude avec le découvert.

financium

Ce marché de l’affacturage, ou du factoring en anglais, mesuré à l’aune des volumes de créances cédées par les entreprises à leurs factors, connait une croissance de 8% par an en moyenne (+8,4% en 2017, +8% en 2016) pour atteindre près de 291 milliards de créances cédées en 2017[1].

Son succès repose sur la mécanique même de ce service dédié à la gestion et au financement du poste clients, séduisant des entreprises toujours plus importantes. Mais au-delà de la question du financement, les grands comptes, et tout particulièrement ceux qui publient des comptes consolidés aux normes IFRS, sont venus avec de nouveaux besoins en lien avec leur stratégie financière, les conduisant par exemple à organiser la sortie d’un actif circulant de leur bilan, en d‘autres termes, à décomptabiliser cet actif. Sauf que ces normes IFRS tendent à bousculer les pratiques de l’affacturage, en vue de conserver son attrait déconsolidant.

L’affacturage déconsolidant, un pléonasme sous la règle française

L’opération de factoring consiste en un transfert de créances commerciales d’une société vers un factor, qui se charge d’en opérer la gestion et le recouvrement auprès du débiteur. En contrepartie, le factor va régler, par anticipation, tout ou partie du montant de la créance transférée[2] moyennant une commission. Il est donc ici aisé de cerner la motivation des entreprises, à savoir la libération rapide de la trésorerie.

La déconsolidation, ou décomptabilisation selon les termes employés, consiste en une technique permettant de sortir du bilan d’une entreprise un actif ou un passif, afin de donner l’apparence d’un endettement moindre ou d’optimiser les ratios de rentabilité[3].

En droit français, le caractère décomptabilisant de l’opération d’affacturage ne provoque pas débat, puisque cette opération est considérée par nature comme décomptabilisante, le contrat reposant le plus souvent sur la subrogation conventionnelle et plus rarement sur la cession Dailly[4].

En revanche, ce caractère déconsolidant n’est pas systématique en normes IFRS.

Pas de contrat « décomptabilisant » standard

Difficile aujourd’hui d’affirmer qu’il existe un contrat standard d’affacturage déconsolidant en normes IFRS tant il est nécessaire de balayer de nombreux paramètres juridiques et opérationnels, au cas par cas, contrat par contrat, entreprise par entreprise.

Il convient d’abord de s’assurer que l’on est bien en situation de cession d’un actif avec expiration ou transfert des droits contractuels sur les flux de trésorerie liés à l’actif : c’est bien ce qu’entraine la cession par voie de subrogation.

Ensuite, on s’évertuera à raisonner effectivement le plus possible en termes de cession d’actif, ce qui conduit à veiller sur deux grands principes. D’une part, faire en sorte de figer la valeur de cession de l’actif une fois celui-ci cédé. D’autre part, s’assurer autant que faire se peut du transfert de la quasi-totalité des risques et avantages inhérents à la propriété de l’actif.

Or tous les contrats d’affacturage prévoient des conditions de financement en lien avec un délai de paiement supposé des créances ; revenir sur ces conditions à raison des délais réellement constatés est un classique en affacturage. Les contrats d’affacturage prévoient, en effet, les conditions du partage des risques résultant de l’avance de trésorerie consentie. Se pose alors la question des cas de « recours » dans le jargon des factors, soit les conditions sous lesquelles, le factor, peut revenir sur l’avance de trésorerie consentie et aller jusqu’à restituer les créances.

Ainsi, prenons l’exemple d’une entreprise souscrivant à un contrat d’affacturage avec l’appui d’une assurance-crédit. Admettons que le financement consenti soit aligné sur les limites d’assurance-crédit délivrées par l’assureur. Pour autant, le client ne sera pas totalement à l’abri des risques d’impayés de ses propres clients. En effet, le principe de la « quotité non garantie » typique de ces polices d’assurance laisse à la charge du client une partie du risque des impayés en cas de défaillances des débiteurs. Si le factor a consenti une avance de trésorerie, et que la délégation du droit à indemnité de l’assurance-crédit ne vient pas couvrir totalement l’encours financé qui ne sera pas payé, le factor demandera à son client de rembourser la part non couverte.

Tous ces cas, et bien d’autres encore liés ici aux risques de retards de paiement, là aux traitements des litiges sur les créances, là encore aux mises en réserve conduisant à des financements différés et sous conditions, sont autant de cas venant heurter les principes visant à figer la valeur de l’actif cédé et transférer la « quasi-totalité » des risques et charges.

Redéfinir le contrat et le partage des risques pour répondre aux exigences de la décomptabilisation en normes IFRS

Chaque cas est unique, à raison des termes du contrat d’affacturage qui fournira le socle de la discussion, et des objectifs de décomptabilisation poursuivis par l’entreprise.

L’examen attentif des termes des contrats, en se demandant toujours en quoi ils viendraient heurter ce qui doit s’en tenir à la cession d’un actif, permet de structurer le contrat avec le support de toutes les parties prenantes. On conviendra par exemple qu’il n’est plus possible de procéder à une facturation d’intérêt de retard post-compté et que l’on s’en tiendra à une révision périodique des termes d’intérêts pré-comptés. On statuera sur le sort du « risque résiduel » en cas d’assurance-crédit délégué supposant un pourcentage d’encours non couvert à cause des termes des quotités garanties. On dressera une liste qui se voudra exhaustive des seuls cas de litiges permettant au factor d’exercer son recours et des pièces justificatives qui s’imposeront alors, etc. La liste peut alors être très longue.

On ne peut que conseiller une concertation approfondie entre l’entreprise, le factor, voire l’assureur-crédit, leurs juristes respectifs, d’éventuels intermédiaires du courtage et du conseil. Et surtout, on s’en remettra in fine aux commissaires aux comptes, le seul et unique personnage de l’histoire qui est en mesure de valider le caractère décomptabilisant de ce type d’opération.

 

Alexandre DELIGNIERES, étudiant à l’ESAM Paris et apprenti chez BFR Expertise & Solutions

[1] données ASF

[2] source : Banque de France

[3] source : Vernimmen

[4] art. L313-23 et suivants du Code monétaire et financier

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